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Un appétit d'ogre
Un appétit d’ogre Il était une fois un ogre, habitant des sombres forêts du Nord... Un garçon de seize ans se tenait juché sur une branche de pommier. L’ogre, qui l’avait vu de loin, se déguisa en cavalier tout vêtu de rouge et vint passer sur son cheval noir, le long du chemin : « Beau garçon, dit le cavalier, comment t’appelles-tu ? » « Askeladd ! » répondit le garçon, fièrement. « Eh bien, Askeladd, j’ai soif ! Je suis en selle depuis ce matin... Tu serais bien gentil si tu me lançais une pomme. » Askeladd choisit la plus grosse, la plus fraîche des pommes. Pour la lancer il prit son élan. Mais cet élan lui fit perdre l’équilibre. Prestement, le cavalier ouvrit son sac... et le garçon tomba dedans, la tête la première ! « Ha ha ! Te voilà pris, mon petit ! Je vais pouvoir étancher ma soif et ma faim grâce à toi... Je t’emmène dans mon royaume ! » Le cavalier rugit de joie, tira sur le noeud coulant, attacha le sac derrière la selle en travers de la croupe de son cheval, et le lança soudain à bride abattue. Le cheval galopa longtemps, jusque sous la terre, où était le royaume de l’ogre. Il n'y faisait pas nuit pour autant. Partout étincelaient des rocailles d'or, baignées d’une eau de cristal. « Mon ogre chéri ! » cria une femme sur le seuil d'une maisonnette. « Eh, mon cher ogre ! Que me portes-tu de bon ? » « De la chair fraîche ! » répondit le cavalier d’un air féroce et satisfait. « Oh oh ! Eh bien... » reprit la femme en considérant le sac bien rebondi, où se débattait le garçon capturé. « Montre-moi cela... » L’ogre descendit de cheval, le sac sur l’épaule, et s’en alla au cellier. Il desserra le noeud coulant, et tira le pauvre Askeladd par les pieds pour le considérer un instant. « Il est bien jeune ! » se réjouissait-il. « Sans doute, mais il est bien maigre... Quand nous l’aurons fait cuire, il y aura tout juste de quoi te présenter un bon repas. » « Oui, c’est dommage... Mais je le tiens, et je ne le lâcherai plus ! » « Sois raisonnable, dit la femme de l’ogre, d’une voix douce. Voyons, il y aura bien de la place pour lui dans une de nos barriques... » L’ogre approuva. Il retira le couvercle de son plus gros tonneau, et précipita le garçon dedans. Il referma ensuite l’énorme barrique en posant une très lourde pierre dessus, et laissa uniquement la bonde ouverte, à mi-hauteur. Askeladd eut beau pleurer, supplier, taper des poings et des pieds contre les planches, tenter de soulever le couvercle du tonneau, appeler au secours – rien n’y fit : il était pris. Il tournait en rond, furieusement, sans espoir de s’échapper ! Le soir tombait. La femme de l’ogre vint le trouver, et lui dit : « Askeladd, mon bon garçon, viens me voir... Je ne te veux pas de mal... Tu vois, je t’apporte à manger. Viens plus près de moi, et fais la bouche ronde au trou de la bonde. » Mais Askeladd était encore en colère. Il ne voulait pas ouvrir la bouche comme elle lui demandait... La femme de l’ogre, contrariée mais cherchant à l'amadouer, reprit : « Fais la bouche ronde, mon garçon : Ce que j’ai préparé pour toi en cuisine est bon à manger. » Elle approchait du trou de la bonde un plat fumant et appétissant. Mais l'enfant ne voulait toujours rien entendre. Alors la femme de l’Ogre s'écria : « Si tu refuses d'ouvrir la bouche, j'enfoncerai la bonde dans le trou, et tu finiras par étouffer dans cette vieille barrique ! » Que faire ? Askeladd ouvrit la bouche en se tenant devant la bonde. La femme de l’ogre s’empressa de lui remplir le gosier avec une grande et longue cuillère. Elle n’avait pas menti – quelles bonnes nourritures elle avait cuisinées pour lui ! De la bouillie de maïs grillé au miel, de la bouillie de semoule aux raisins secs, de la bouillie de flocons d’avoine au lait, de la bouillie de pain au beurre et au caramel, de la mousse au chocolat, du flan aux œufs, de la crème fraîche épaisse avec de la confiture de framboises, des compotes de pommes chaudes et des fromages frais bien sucrés... Askeladd se trouvait copieusement rassasié, après un tel repas ! Et il finit par s’endormir sans se plaindre, dans son gigantesque tonneau... Il pouvait s’y tenir debout sans problème et faire quelques pas, mais l’ennui le rattrapait toujours et il restait assis par terre. Cependant, chaque jour, quatre à cinq fois par jour, la femme de l’ogre revenait pour lui apporter à manger. C’était sa seule distraction... « Askeladd, mon bon garçon, fais encore la bouche ronde au trou de la bonde... » Alors Askeladd se relevait sur ses genoux, et ouvrait la bouche pour la femme de l’ogre, qui se tenait déjà prête avec sa grande cuillère et ses plats de bouillies. « Fais bien la bouche ronde, mon garçon : Je vais te régaler ! » Askeladd ouvrait grand la bouche. Et la femme de l’Ogre y fourrait la nourriture dedans, à vive allure ! C’étaient toujours des plats excellents, très simples mais très nourrissants – et le garçon, bien obéissant, recevait des portions toujours plus généreuses et abondantes, jour après jour... C'est après une semaine que l’ogre revint le voir. « Eh bien, Askeladd, mon bon garçon ! Montre-moi ton petit doigt par le trou de la bonde... » Askeladd ne comprenait pas très bien ce que l’ogre voulait. Il lui tendit son doigt. L’ogre le tâta longuement, en ricanant : « Ha ! Ha ! C’est très bien ! Te voilà bien en chair, mon garçon ! A ce régime, tu seras bientôt dodu à souhait... Femme, nourris bien ce gros garçon ! Nourris-le encore, et copieusement. Je veux qu’il s’empâte, ce petit coq ! » A ces mots, Askeladd comprit tout de suite. Toutes les nourritures dont la femme de l’ogre le régalait n’avaient d’autre but que de l’engraisser. Quand il serait gras et replet comme un petit cochon, il passerait à la marmite, et il aurait le feu aux fesses... Mais comment faire pour se sauver ? Askeladd était un garçon intelligent, plein de ressources. Et à force de tourner en rond dans le noir, il avait fini par trouver quelques objets abandonnés au fond du tonneau qui lui servait de prison : un vieux clou, une petite baguette de bouleau et un morceau de chandelle. Ce n’était pas grand-chose, mais il avait glissé ces trois objets dans sa poche comme un trésor. Et ce trésor pourrait lui sauver la vie ! Le lendemain, la femme de l’ogre revint avec de bons plats pour l’engraisser. Askeladd avait du mal à refuser la bonne nourriture qu’elle lui enfournait dans le gosier. Il s’en était montré gourmand, pendant toute une semaine... Et il devait reconnaître que l’ogre avait raison : Il avait grossi. Ses joues étaient plus rondes et il avait déjà le ventre lourd, bien rebondi. Comme son estomac était aussi bien dilaté, Askeladd montrait beaucoup plus d’appétit ! Rien de tout cela n’était passé inaperçu pour la femme de l’ogre. Elle venait voir son cher garçon six fois par jour maintenant, avec ses plats de bouillie, et de longs chapelets de saucisses, de boudins noirs et de boudins blancs... Elle prenait plaisir à en gaver le pauvre garçon qu’elle tenait prisonnier, sans merci ! L’ogre se réjouissait, de loin, d’entendre sa proie pousser d’énormes rots sonores après un des copieux repas qu’on lui imposait. « Encore quelques jours, et il aura sa bonne épaisseur de lard ! » songeait-il. Après une semaine de ce régime, en effet, l’ogre revint à son tour. « Askeladd mon petit, mon joli, montre-moi ton doigt par le trou de la bonde... » Askeladd souleva son mouchoir et, par le trou de la bonde, donna le clou au lieu de son doigt dodu. L’ogre tâta encore et encore. Il ne comprenait pas. A tâtons, dans le noir, il appuya son couteau... et entendit grincer la lame. « C'est bien trop tôt pour le manger... Il est maigre comme un clou ! » L’ogre s'emporta : « Femme, notre petit pensionnaire a maigri ! Il n'a que la peau sur les os ! Porte-lui encore des bouillies à manger, dans de grands plats ! Mais tâche de le régaler d’une cuisine plus riche ! » Et la femme de l’ogre, toute honteuse, porta des bouillies bien plus épaisses pour le garçon, dans de plus grands plats. Elle ne comprenait pas comment il pouvait être encore aussi maigre... En effet, Askeladd se montrait toujours bien docile, à genoux dans son vaste tonneau. Par prudence, et par gourmandise, il devait accepter d’être gavé – et gavé – et gavé encore ! – tellement que les boutons de sa culotte en éclataient... « BUUUUURRRRRP !!! » Et l’ogre se réjouissait, à nouveau, en entendant le bon garçon pousser de longs rots bien résonnants. Il était furieux contre sa femme, et ne cessait de lui donner des ordres pour que les plats soient plus lourds et plus riches... Après une semaine, il revint voir le garçon pour voir s'il était enfin assez tendre et bien en chair. « Askeladd, mon bon garçon, montre-moi encore ton petit doigt par le trou de la bonde... » Askeladd souleva son mouchoir et lui donna la baguette de bouleau à tâter au lieu de son doigt potelé. La femme vint tâter aussi, et se retourna vers l’ogre en secouant la tête : « Il a un peu profité, mais il est encore trop sec, trop coriace... » « Oui, il est décidément coriace ! » Mais l’ogre n’était plus en colère... Il ordonna seulement que le garçon soit gavé en abondance. La femme de l’ogre devait revenir huit à dix fois par jour, avec de grands plats et une grosse louche pour gaver Askeladd comme une oie... Et le garçon devait encore dévorer saucisse après saucisse, toute la journée, tant et si bien que les coutures de sa culotte se déchiraient – ce qui ne présageait rien de bon pour lui ! Quelques semaines se passèrent encore ainsi... Cependant, Askeladd était conscient que sa ruse lui avait seulement accordé un peu de temps – avant que l’ogre ne se décide à le manger ! En vérité, la femme de l’ogre l’avait déjà bien engraissé. Le garçon commençait à se trouver à l’étroit dans son tonneau, tant son ventre avait plus que doublé de volume. Quant à ses vêtements, ils étaient tous si serrés qu’il les avait retiré depuis un moment... Or un matin, comme l’ogre arrivait, Askeladd avait songé pendant toute la nuit à un moyen de s’enfuir. Il ne se trouvait pas encore lourdaud et bouffi au point de ne pas pouvoir courir dans l’obscurité. Déjà la femme de l’ogre s'approchait du trou, et lui dit : « Askeladd, mon joli, montre-moi ton doigt par le trou de la bonde... » Cette fois, le garçon lui donna la chandelle de cire à tâter. « Hmmm... Il a grossi, enfin ! Il est bien tendre, bien gras... Mon petit couteau entre dans sa chair comme dans du beurre. » « Parfait ! » répondit l’ogre. « Et puisque tu sembles avoir trouvé le régime qui lui convient, il me semble que nous pouvons encore engraisser un peu ce bon garçon... Je te donne une semaine pour que son doigt soit plus charnu et plus épais ! Va ! » La femme de l’ogre était trop contente pour ne pas obéir à son maître. Askeladd ne dit rien, mais il commençait à désespérer de pouvoir sortir vivant d’entre les mains de l’ogre... La nourriture qu’on lui servait en abondance était toujours trop délicieuse pour qu’il résiste, de toutes façons. Alors il se laissa aller complètement. A genoux dans son tonneau, lorsque la femme de l’ogre le gavait, le garçon se régalait toute la journée, sans plus se soucier d’être engraissé – et engraissé – et encore engraissé ! – tellement que son ventre gonflait à vue d’œil, s’épaississait et devenait bien mou... « BUUUUUUUUUURRRRRRRRRRP !!! » A sa grande surprise, quelques semaines se passèrent encore avant que l’ogre se décide à revenir pour voir si sa proie s’était empâtée avec succès. Déjà la femme de l’ogre s'approchait du trou et dit au garçon, bien repu et assoupi : « Askeladd, mon joli, montre-moi ton doigt par le trou de la bonde. » Alors le garçon leur tendit vraiment son doigt... « Oh ! Ha ha ! » se mit à rire l’Ogre. « Cette fois, il a bien grossi ! Comme il est devenu tendre, et juteux à point... Oh oh ! Mon garçon, tu auras enfin pris un bon poids en peu de temps ! Je suis content de toi, femme ! Tu as bien engraissé cet enfant : Son petit doigt est épais comme il faut, comme un petit boudin blanc... Prends garde, je vais défoncer la barrique ! » L’ogre avait retiré l'énorme pierre et allait défoncer la barrique d’un seul coup de poing. Mais il n’eut pas fort à faire car déjà les cercles de métal rouillé cédaient, les hautes planches de bois poussaient un craquement sinistre, le gros tonneau éclata soudain pour révéler à l’ogre et à sa femme, stupéfaits, comme Askeladd avait fini par remplir de ses fesses dodues et de son ventre énorme tout le volume de sa prison ! L’ogre, éclatant de rire, tira par les pieds Askeladd, tout penaud. Il était devenu parfaitement dodu, obèse et replet. L’ogre le porta dans la cuisine comme un bon gros jambon bien entrelardé. « Femme, dit l’ogre, voilà un merveilleux repas pour nous ! Rond et gras comme il est, je ne crois pas qu'il aille loin. Prépare-le bien... » « Je vais aiguiser mes couteaux. » « Parfait ! », répondit l’ogre. « Je vais préparer le feu pour ce festin. Pendant ce temps, tue-le et fais en cuire la moitié dans la marmite. Je ferai cuire l'autre moitié à la broche. » L’ogre étant parti, la femme de l’ogre se mit à aiguiser ses couteaux en tournant une vieille meule de pierre – criss... – criss... « Que fais-tu ? » demanda Askeladd naïvement. « J'aiguise mon grand couteau ! » « C'est pour me tuer ? » « Mais oui, maintenant que tu es gras comme un beau porcelet ! » Criss... – criss... – criss... « Laisse-moi faire ! » dit Askeladd. « Tu ne sais pas comment t’y prendre avec cette meule et ces couteaux. Je les rendrai tranchant comme des rasoirs. Ça me fera moins mal... » La femme de l’ogre était fatiguée. Elle accepta de lui passer les couteaux. Et en effet, le gros garçon se montrait habile avec la pierre à meuler. Quand le couteau fut bien aiguisé, Askeladd lui dit : « Je crois que c’est bon. Est-ce que je peux l'essayer sur ta tresse pour voir s'il coupe bien ? » La femme de l’ogre pencha sa tête pour lui donner le bout de sa tresse. Aussitôt Askeladd l'empoigna par les cheveux, la tira vers lui et la tua... Il suivit la recette de l’ogre : la moitié à la marmite, l'autre prête pour la broche. Et il disposa les morceaux sur la table... Puis, il enfila l’énorme jupe de la femme de l’ogre, noua son fichu sur sa tête et prit place dans l’ombre, discrètement, à côté du feu. Il était temps... L’ogre revenait déjà. Il invita sa femme à se régaler avec lui. « Non merci... » soupira Askeladd, en imitant la voix de la femme de l’ogre. « Je n'ai pas tellement faim pour l’instant. » « Eh bien ! Je ne t’attendrai pas. Comme cela sent bon... » Pendant que l’ogre était distrait, occupé se remplir la panse, le garçon sortit en douce de la cuisine et atteignit une rivière souterraine, aux eaux de cristal. Il se mit à flotter sur ces ondes tranquilles. Comme il était maintenant gras et obèse, son corps flottait bien, et il glissa tout seul – vers la liberté. De retour dans la forêt, Askeladd fut recueilli par des gens de son village, qui se désespéraient de sa disparition, après l’avoir cherché pendant des mois... Il était tout heureux de les revoir... et bien trop lourd et dodu pour pouvoir marcher ! De leur côté, les villageois étaient tous étonnés de voir leur beau garçon revenir si énorme, rond et rebondi sous tous les angles, bien en chair, et tendre comme du beurre ! Askeladd fut immédiatement porté vers son village, où il fut accueilli en héros... Tout le monde lui fit conter son histoire, autour d’un grand festin où il but plus de bière et mangea plus de viandes et de pâtisseries à lui tout seul que tous les autres réunis. « Quel appétit d’ogre ! » disaient-il, admiratifs. | |
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